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L'ego en bloc de Copenhague / voyages

L'ego en bloc de Copenhague
Gary Lawrence

La capitale danoise est à la hauteur de sa réputation

Difficile de résister au chant des sirènes de Copenhague, ville vernie, vertueuse et vélomane. Petit tour guidé au cœur de cette cité qui a tellement bien su se construire l’ego en mode écolo qu’elle sera Capitale verte d’Europe en 2014.

Copenhague — Des mégots entre les pavés, dans une rue piétonne de Strøget. Quelque vague relent d’urine, non loin de l’université. Des épaves humaines, échouées le long des canaux. Et des tessons de bouteille sur la piste cyclable ; et un vagabond groenlandais ; et des cônes orange au garde-à-vous devant un trottoir éventré, comme à Montréal.
 

J’en étais sûr ! Il y a bel et bien quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Mais… Ça s’arrête là. Parce que tout le reste, ou presque, est à la hauteur de la réputation de Copenhague, la ravissante et très progressiste capitale danoise.
 
 
Âgée de près d’un millénaire mais jeune de caractère, ancien siège d’un royaume immense mais tricotée serré autour de Slotsholmen — l’île qui l’a vue naître —, København se vit et se visite sans chichi ni chiqué, bien qu’elle soit chic par endroits.
 
 
Éminemment vélophile et follement vélomane, quadrillée par des canaux et de nombreuses zones piétonnières, la capitale du « pays le plus heureux au monde » se donne à hauteur d’homme et détonne par l’eurythmie des éléments de son urbanité, entre architecture séculaire et design ultramoderne affiné et raffiné.
 
 
La première fois que j’y suis allé, j’avais emprunté le pont de l'Øresund depuis Malmö, en Suède, par un glauque soir de pluie. En deux heures à la parcourir de flaque en flaque, je n’avais rien pu voir d’elle, pas même les lanternes et bougies que les Copenhaguois placent à leurs fenêtres, eux qui vouent un réel culte au hygge, cette manie qu’ils ont de tout rendre agréable, confortable et douillet à souhait, autour d’eux.
 
 
En mai dernier, je l’ai enfin arpentée à sa juste mesure, sans relâche ni retenue deux jours durant, pour bien la tutoyer du regard et jauger sa dégaine. À moi les remarquables enfilades de façades colorées de Nyhavn, la toiture aux dragons entrelacés de Børsen, la tour-clocher Rundetårn et sa fascinante rampe en colimaçon menant au vieil observatoire, ainsi que les curiosités architecturales de la ville.
 
 
Parmi celles-ci brillent le Diamant noir, la bibliothèque municipale de verre et de granit ; l’immeuble à condos Mountain et ses étages en escalier recouverts de pelouse ; et l’impressionnant mais écrasant opéra, financé par le mécène danois Maersk Mc-Kinney Møller, affectueusement surnommé « le grille-pain ». Quant à la future usine d’incinération qui sera possiblement inaugurée en 2016, on compte y aménager… une piste de ski sur le toit.
 
 
Ville dense où tout est concentré, cité proprette et sûre à souhait, Copenhague se déploie dans un cadre aussi agréable que ponctué de notes bien conçues, grâce à cet amour séculaire du design à la fois fonctionnel et séduisant à l’œil.
 
 
Pour s’en convaincre, il suffit d’entrer au Dansk Design Museum ou dans la boutique Illums Bolighus, où la moindre poignée de porte fait figure d’œuvre d’art. Plus simplement, on peut s’inviter chez le premier Copenhaguois venu, pour calculer le nombre de produits Bang & Olufsen, Bodum ou Poul Henningsen qui s’y trouvent au mètre carré.
 
 
Quant à tous ces Danois et Danoises filiformes à l’esthétique naturellement conçue, on n’a qu’à poindre le nez dehors pour les voir défiler sans cesse à bicyclette : on dit que plus du tiers des Copenhaguois chevauchent la « petite reine » pour aller travailler, quand ce n’est pas pour le pur plaisir de la chose. Une réalité qui a certes joué dans le choix de la ville au convoité titre de Capitale verte européenne, qu’elle portera en 2014.
 
 
Ultratolérante et plus cosmopolite que ses cousines des autres pays scandinaves, Copenhague-la-décontractée accuse aussi un certain penchant pour la nouba et adore voir et être vue, au bu et au su de tous, au bar, au boulot ou au resto.
 
 
Mais ce n’est pas parce que le Noma y a été sacré meilleur resto au monde trois années de suite par le magazine Restaurant que la capitale danoise est un éden culinaire : il n’y a pas si longtemps, l’ancien chef-lieu viking n’était pas spécialement réputé pour sa bonne chère, sans pour autant friser le néant alimentaire. Cela dit, Copenhague cumule aujourd’hui plus d’étoiles Michelin que toute autre ville scandinave, et sa « nouvelle gastronomie nordique » prend chaque année un peu plus de galon.
 
 
En revanche, côté smørrebrød (succulentes tartines, ou « sandwichs ouverts »), c’est le pactole, surtout si on va chez Ida Davidsen ou Schønnemann, deux institutions qui déclinent cette recette traditionnelle à l’infini en l’arrosant d’une innombrable variété d’aquavits (de costauds tord-boyaux). Et dès qu’un rayon de soleil fait fléchir la ramure des nuages, c’est la ruée vers les terrasses.
 
 
En deux jours aux azurs gonflés d’ultraviolets, on aurait d’ailleurs dit que le Tout-Copenhague était dehors, les uns trinquant attablés le long des canaux, les autres pique-niquant en sirotant un rosé dans le Kongens Have, un bucolique parc qui a comme toile de fond Rosenborg Slot, ce château de conte de fées érigé par Christian IV, le Roi-Soleil danois, et qui abrite les joyaux de la reine Margrethe II.
 
 
Pendant ce temps, d’autres préfèrent laisser pendouiller leurs pieds au bout du quai ou les enfourner dans un kayak de mer, pagayant devant les mignardes devantures de Christianshavn, où tout un chacun vous envoie la main dès lors que vous y glissez sur l’onde, en embarcation légère ou en bateau-mouche. Sont-ils simplement avenants, si peu habitués à glaner du touriste ou tout simplement sous l’emprise de barbituriques ?
 
 
Car c’est à quelques encablures de là que s’étend Christiania, l’étonnante enclave de verdure et de liberté fondée par une poignée d’utopistes il y a 40 ans. Plus célèbre communauté alternative d’Europe, étrange bastion de la contre-culture qui vit en marge de la société depuis des décennies, Christiania forme aussi un impressionnant creuset d’artistes et un haut lieu de la vente libre du tabac qui fait rire et d’autres substances aux effets stupéfiants.
 
 
Menacés d’être délogés par l’État, ses habitants viennent de racheter les terres qu’ils squattaient depuis 1971, ce qu’ils ont notamment financé en faisant appel aux dons privés et en récoltant les fruits du tourisme, dont ils sont devenus… dépendants.
 
 
Une nouvelle donne qui ne figurait pas spécialement dans le programme initial de ce projet déluré, lancé par des idéalistes qui voulaient changer le monde. Comme quoi rien n’est jamais parfait, même dans la capitale du pays le plus heureux du globe.
 
 
 
En vrac

 •Transport: Au départ de Montréal, Air Canada, Air France/KLM, British Airways et Swiss desservent Copenhague, depuis leur plaque tournante respective.
•Croisières: Copenhague est le point de départ et d’arrivée de plusieurs croisières en mer Baltique. Celles que propose la Compagnie du Ponant à bord du Boréal, en mai et en juin, valent particulièrement le déplacement, tant pour le navire lui-même (un croisement entre un yacht de luxe et un mini-paquebot) et les escales (Riga, Tallinn, Saint-Pétersbourg, Helsinki et Stockholm) que pour la lumière magique de la saison des nuits blanches.
•Hébergement: Pour un bon rapport qualité-prix, considérez la chaîne Brøchner, dont fait partie l’hôtel Ibsens (voir le Clin d’œil sur l’artmoney, publié en ces pages aujourd’hui).
•Restauration: On dit que le Noma reçoit 100 000 demandes de réservation par mois ; alors, on a intérêt à s’y prendre longtemps à l’avance pour espérer s’y attabler. Sinon, il faut essayer les smørrebrød d’Ida Davidsen ou de Schønnemann.
•Guides: Très pratique pour les escales rapides, le Gallimard Cartoville (8e édition) compte plusieurs cartes dépliables, quartier par quartier, ainsi que de brèves descriptions sur les incontournables. Pour aller plus en profondeur, préférez le Lonely Planet de la série « En quelques jours », qui est compact, à jour et en français.
•Info: www.visitcopenhagen.com, www.christiania.org, www.aok.dk (pour les événements) et www.cphpost.dk (le Copenhagen Post, en anglais).
Source: http://www.ledevoir.com/art-de-vivre/voyage/357087/l-ego-en-bloc-de-copenhague
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